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Toubkal : l’ascension d’une montagne, la rencontre avec soi

Kamel Benddif sur le mont Toubkal

Toubkal : l’ascension d’une montagne, la rencontre avec soi

Le mont Toubkal, perché à 4167 mètres d’altitude dans la région de Marrakech, est le plus haut sommet d’Afrique du Nord. Un nom qui résonne comme un appel pour les amoureux de nature et d’ascensions. C’est là, au cœur du Haut Atlas marocain, que mon épouse et moi avons décidé de partir. Au départ, ce n’était qu’un projet un peu fou, un défi à relever ensemble : atteindre le sommet.

Je pensais vivre un trek agréable, certes exigeant par moments, mais propice à la contemplation et à la photographie. Dans mon esprit de photographe, les paysages défilaient déjà, cadrés, composés, prêts à être capturés. J’étais prêt à photographier la nature… mais je ne savais pas encore qu’elle allait, en retour, me révéler quelque chose de bien plus profond.

Ce trek n’a pas été qu’une randonnée. C’était une immersion. Une traversée où chaque pas devenait un combat, chaque souffle une victoire. Un voyage intérieur, où la beauté brute des montagnes se mêlait au dépassement de soi. Là-haut, on ne triche pas. On avance, porté par l’effort, l’entraide, et cette lumière unique qui n’éclaire qu’à ces altitudes.

Imlil : Au seuil de l’aventure

Village d'Imlil - Maroc

Notre périple commence ici, à Imlil. Petit village accroché aux flancs de la montagne, niché dans une vallée verdoyante où le murmure de l’eau et le chant des oiseaux s’entrelacent. C’est le dernier souffle de douceur avant l’âpreté du trek.

Nous avons passé la nuit dans une auberge simple mais accueillante, baignée de cette lumière dorée qui caresse les pierres au lever du jour. Tout ici respire la tranquillité… et pourtant, derrière cette paix apparente, on devine la rudesse de la vie. La montagne impose ses règles, et les habitants ont appris à vivre avec elle, à la respecter, à l’affronter jour après jour.

À ce moment-là, je me sentais encore photographe plus qu’aventurier. Je savourais les compositions, les ombres sur les murs ocres, les contrastes entre le vert des arbres et la roche nue. J’étais loin d’imaginer que ce paysage allait bientôt se transformer en épreuve physique et mentale. Mais pour l’instant, je contemplais. Je respirais. Je m’imprégnais. »

Armed, dernier village avant l’effort

Après avoir revérifié notre équipement avec Said, notre guide au regard sage et au pas sûr, nous avons quitté Imlil en direction d’Armed..

Village d'Armed - Maroc

Une vue panoramique sur le village d’Armed, accroché à la montagne, encerclé de verdure. C’est ici que l’on sent le monde moderne disparaître peu à peu, avalé par la roche et le silence.

Le village surgit comme suspendu entre ciel et terre, lové dans un écrin de verdure au cœur d’un cirque minéral. Les maisons de terre ocre s’empilent à flanc de montagne, et les arbres forment une mer végétale qui semble protéger ce monde d’un autre temps. Un calme étrange y règne. Comme un silence d’avant l’épreuve.

Village d'Armed - Maroc

Village d'Armed - Maroc

Depuis un sentier en surplomb, j’ai cadré le cœur du village, cette densité d’habitations à flanc de colline, presque confondues avec la montagne. L’endroit respire l’authenticité, le temps suspendu.

 Sur le chemin, une image m’a bouleversé. Une vieille dame, silhouette frêle courbée par les années, avançait lentement au milieu du pont. Sur son dos, un sac bien plus grand qu’elle, comme un fardeau visible de tous.

Village d'Armed - Maroc

Une scène poignante. Elle n’a pas vu l’objectif, et pourtant elle incarne à elle seule la dignité silencieuse de ceux qui vivent ici. J’ai déclenché doucement, presque en apnée.
Elle avançait pourtant, pas à pas, sans plainte. Cette scène m’a frappé par sa force, comme une métaphore du trek qui nous attendait : porter, avancer, persévérer.
Photographiquement, la composition s’est imposée. Le contraste entre la grandeur du paysage et la fragilité de cette silhouette racontait déjà une histoire de courage.

Premiers pas vers la montagne

C’est ici que tout bascule. Nous laissons derrière nous les dernières habitations et pénétrons dans le royaume minéral du Toubkal.

Avant même de faire un pas, un détail m’a frappé : nous partons légers. Nos sacs les plus lourds sont déjà en route, portés par des mules guidées par des muletiers aguerris. À leurs côtés, un cuisinier monte lui aussi, à pied, avec toute sa cuisine : marmites, réchaud, provisions… le tout chargé sur une mule.
Ils vont parcourir à pied, sur un chemin rocailleux et exigeant, les 10 kilomètres de montée jusqu’au refuge situé à 3200 mètres d’altitude. Une ascension rude, sans cesse en pente, où chaque pas est un effort. Cette organisation, orchestrée avec précision par notre guide Said, m’impressionne. Il y a là une forme d’humanité discrète et essentielle, que je n’oublierai pas.

Les montagnes du mont Toubkal

Avec ce ciel omniprésent. Les montagnes, de chaque côté, tracent un couloir qui mène vers un horizon encore invisible. Ce cadrage vertical, presque aspiré vers le haut, reflète ce que je ressens à ce moment précis : l’envie d’avancer, mais l’impression d’être minuscule.

Je marche d’un pas déterminé, porté par l’excitation du départ. Mon œil de photographe est en éveil, chaque rocher, chaque courbe du paysage me parle. Je suis encore dans un état de contemplation. Une douce illusion s’installe : celle d’une balade agréable au cœur d’une nature majestueuse. Le plaisir domine, et je m’imprègne de tout sans penser à ce qui m’attend.

Le sentier, pourtant, est rocailleux. Il faut constamment ajuster sa foulée. Quelques arbres apparaissent ici et là, offrant par moments une ombre légère, mais le soleil s’impose rapidement. La chaleur se fait sentir, pesante sans être accablante. Heureusement, nous sommes bien préparés : les gourdes sont pleines, le rythme est bon.

Les montagnes du Toubkal

La vallée s’ouvre, généreuse. La lumière joue sur les crêtes, la neige au loin scintille. Tout semble vaste, presque paisible. Pourtant, dans cette paix minérale, le chemin commence doucement à tester notre endurance.

C’est le début d’un voyage. Pas seulement vers un sommet, mais vers un autre soi.

Première halte – après une heure de marche

Cela faisait environ une heure que nous marchions. Le chemin, de plus en plus rocailleux, commençait à peser dans les jambes. La chaleur montait, les pas se faisaient plus prudents, plus lents. Il fallait marquer une pause. C’est là que nous sommes tombés sur ce décor inattendu.

Les montagnes du mont Toubkal

Un abri sommaire, fait de troncs, de branches, de plastique et de poussière. Quelques chaises attendent. Personne. Le vide parle autant que la fatigue. En toile de fond, les montagnes veillent, impassibles.

J’ai trouvé cette scène presque irréelle. Comme une halte fantôme, posée là pour les marcheurs de passage, mais désertée. Peut-être en haute saison ces abris prennent-ils vie. Peut-être y vend-on du thé ou des fruits. Mais ce jour-là, tout était silencieux. Suspendu.

Nous nous sommes assis un moment. Reposé les jambes. Bu une gorgée d’eau. Et surtout, j’ai pris ce temps pour observer, respirer, cadrer.
La fatigue commençait à s’installer, insidieuse. Mais à ce moment précis, je n’étais pas encore inquiet. Je me disais que c’était normal. Que tout allait bien.

Je ne le savais pas encore, mais cette pause était la première d’une longue série de moments où le corps allait parler… de plus en plus fort.

Quand le mental prend le relais

Après la première halte, la pente s’accentue. Le sentier devient plus rude, plus cassant. Les rochers s’accumulent, et chaque pas demande un effort de plus. Le souffle devient court, les muscles commencent à chauffer, et une sourde fatigue s’installe dans les jambes.

Les montagnes du mont Toubkal

Au loin, les sommets enneigés semblent encore inaccessibles. Le chemin s’étire, sinueux et implacable. Un petit refuge isolé se fond dans la montagne : modeste, minuscule face à l’immensité du relief.

C’est à ce moment précis que la difficulté devient réelle. Le corps commence à douter. On lève les yeux, on voit la pente, puis on devine le sommet, très loin encore. Et on se dit : « Je n’y arriverai jamais. »

Mais alors, quelque chose se passe. Le regard de mon épouse, sa détermination tranquille, sa force silencieuse me donne du courage. Et puis il y a ces montagnes. Majestueuses, écrasantes, mais belles. Immensément belles. Je puise dans leur énergie, dans la lumière qui glisse sur les crêtes, dans la solitude du chemin. Et dans mon propre mental.

Je cesse de penser à la fin. Je pense au prochain pas. Puis au suivant. Et au suivant encore. Ce n’est plus une marche. C’est un engagement intérieur. Un dialogue avec soi-même. Le corps est à bout… mais l’esprit avance.

Le prix de la beauté

Après trois heures de marche, la montée continue. Chaque pas est plus lent, plus pesant. Le souffle s’alourdit, les muscles protestent.Pourtant, je ne peux m’arrêter de regarder autour de moi.
Car malgré la fatigue, un sentiment m’envahit : celui d’être minuscule dans un monde immense, qui nous invite à l’humilité.

Les montagnes du Toukbal

Face à moi, la montagne s’élève encore. Les cimes dentelées, encore poudrées de neige, semblent veiller sur les pas des marcheurs. Un chemin s’accroche à la pente verte, fragile et têtu.

La nature ici ne parle pas. Elle impose. Elle ne se donne pas facilement. Elle se mérite. Je la regarde. Elle me regarde en retour. Et j’entends presque ses mots silencieux : Si tu veux m’admirer, alors mérite moi.”

Les montagnes du Toukbal

Le paysage devient plus minéral, plus aride. Le vert disparaît peu à peu, laissant place à une roche nue, fière, indifférente au passage des hommes.

Ici, tout est plus lent. Plus vrai. La nature est immuable. Elle est là, depuis des siècles, inchangée, impassible. Elle ne console pas, elle ne triche pas. Mais à celui qui accepte l’épreuve, elle offre un spectacle d’une pureté bouleversante.

Et c’est ce contraste qui me touche profondément : la dureté de l’effort face à la générosité silencieuse du paysage.
Comme si la montagne me disait : « Je suis rude, mais je suis vraie. Regarde moi comme on regarde une vérité. »

Ingéniosité en altitude

Les jambes étaient raides, le souffle court, l’envie de continuer en suspens.
Une pause s’imposait. C’est alors que, comme un mirage dans ce désert minéral, est apparue cette petite gargote de montagne.

La gargote du mont ToubkalUn toit en tôle, des tables en plastique. Ici, pas de luxe, mais l’essentiel : un coin d’ombre, un endroit pour poser son sac, s’asseoir, respirer.

Et puis, il y avait ce détail qui m’a captivé. Pas de frigo, pas d’électricité. Mais un système d’une ingéniosité incroyable pour garder les boissons au frais.

La gargote du mont Toubkal

Un long tuyau, détourné d’un cours d’eau venu du sommet, descend jusqu’à une bouteille percée, fixée sur une étagère en pierre. Des filets d’eau fraîche jaillissent continuellement, arrosant les boissons, les oranges, les bouteilles en plastique et en verre. Tout est maintenu à température par la seule force de la nature.

Je suis resté un moment à observer ce système, si simple et pourtant si efficace, m’a frappé. Un rappel que l’être humain, en vivant en harmonie avec son environnement, peut faire preuve d’une capacité d’adaptation remarquable. Pas besoin de technologie. Juste de l’observation, de la logique, et une touche de génie rustique.

C’était plus qu’une pause. C’était un hommage à l’intelligence du quotidien.
Et en buvant une boisson fraîche, là, assis sur une pierre, je me suis dit que cette pause valait tous les refuges climatisés du monde.

Ceux qui portent la montagne

On parle souvent de ceux qui montent mais rarement de ceux qui font monter les autres.

Le mulet du mont Toubkal

Il ne porte rien, pourtant il semble chargé de silence. Son immobilité raconte mieux que des mots la fatigue, la patience, la loyauté.

Sur ce sentier rude, sans fin, il y a un va-et-vient discret, constant. Des hommes. Des muletiers. Et à leurs côtés, les véritables héros silencieux de cette aventure : les mulets et muletiers.

Les montagnes du ToukbalIls avancent lentement. Le pas sûr. Les mulets chargés de tentes, sacs, provisions, parfois même de déchets qu’ils redescendent. Rien ne les arrête.

Ils montent, redescendent, puis remontent encore. Plusieurs fois par jour.
Sans plainte. Sans relâche. Toujours prêts à aider. Toujours avec ce regard doux, cette force tranquille et toujours cette posture respectueuse vis-à-vis de cet environnement hostile et magique en même temps

Les montagnes du Toukbal

Dans ce paysage rude, ils tracent un chemin. Ils font corps avec la montagne. Ils sont les veines logistiques de cette ascension.

Ces hommes là ont une allure que rien n’ébranle. Ils ne parlent pas beaucoup. Mais leur regard en dit long. Ils connaissent chaque pierre, chaque virage, chaque souffle de vente et leurs compagnons à quatre pattes sont à leur image : endurants, fiables, presque inébranlables.

Le muletier du mont Toubkal
Ils avancent les uns derrière les autres en file serrée leur cadence régulière marquant le rythme de la montagne Le sentier est étroit abrupt mais aucun ne dévie Ils savent le chemin Ils le connaissent par cœur
Le muletier du mont Toubkal
Il séloigne lentement pas après pas chargé mais stable De dos on devine dans sa posture une forme de résignation paisible presque noble Il ne se retourne pas il avance simplement Comme sil connaissait ce chemin depuis toujours

Sans eux, rien ne serait possible. Pas de repas au refuge, pas de sacs allégés, pas de matériel transporté. Ils sont l’ossature invisible de chaque ascension.
Alors aujourd’hui, à travers ces images, je rends hommage à ceux qui ne cherchent pas la gloire, mais qui portent la montagne sur leurs épaules, et dans leurs sabots.

Arrivée au refuge

Des heures à monter, à douter, à puiser dans des réserves que je ne pensais pas avoir. Et enfin, il est là. Le refuge du Toubkal. Perché à 3200 mètres, posé comme une forteresse oubliée dans un monde de roche brute et de silence glacé.

Le refuge du mont Toubkal

Il surgit au creux de la montagne, sobre, austère, presque irréel. Ses pierres se fondent dans le décor, comme si elles avaient toujours été là. Autour, des tentes multicolores, traces fragiles d’humanité dans ce paysage minéral.

Mais les derniers mètres sont interminables. Plus j’avance, plus j’ai l’impression que le refuge s’éloigne. Chaque pas me coûte. Les muscles brûlent, le souffle se fragmente, et la douleur s’installe. Et pourtant, je continue.

Le refuge du mont Toukbal

La montagne referme ses bras autour de cette bâtisse. Tout semble figé dans une autre époque. Le monde moderne a disparu.


Quand j’arrive enfin devant l’entrée, je ne ressens pas de joie explosive. Je m’écroule littéralement. Sur un lit dur, un matelas étroit, sans confort Mais à cet instant, je suis la roche qui tombe, lourdement, brutalement. Je suis vidé. Et pourtant, rempli d’émotions.
J’ai fait quelque chose d’inhabituel.

J’ai traversé l’effort, j’ai dialogué avec mes limites, et je les ai repoussées. Mais je ne l’ai pas fait seul. Tout au long du chemin, elle était là. Mon épouse qui par sa présence. Par son courage. Par ses mots simples mais puissants quand mon corps faiblissait, sa force me soutenait. C’est aussi grâce à elle que j’ai tenu.

Ce refuge n’est pas qu’un abri. C’est le symbole de ce que nous venons de surmonter. Un sommet intérieur, atteint ensemble.

Veillée, renoncement… et renaissance

Nous sommes arrivés au refuge en fin de journée, les jambes en feu, les visages fatigués, Le corps affalé, l’esprit en suspension. Dans ce dortoir spartiate, allongés sur nos lits étroits, nous attendions l’heure du dîner, entre silence et récupération et puis, peu à peu, la vie a repris. Les voix se sont élevées, les langues se sont entremêlées. Des Espagnols, des Anglais, des jeunes, des anciens… une seule communauté unie par le souffle de la montagne. A chaque groupe, son cuisinier, des cuisines rudimentaires montées sous des tentes battues par le vent, et pourtant… quelle magie ! Les tablées étaient longues, animées, fraternelles.
Vint notre tour. Et ce repas, préparé dans des conditions aussi rudes, fut un festin. Je regardais ces hommes, ces artisans de l’altitude, transformer le peu en merveille. Le goût, l’odeur, la chaleur… tout explosait en contraste avec la rigueur du lieu. Mais pas le temps de s’éterniser. Demain, c’était le sommet. Réveil à 4h du matin. La nuit fut courte. Le sommeil haché. Les muscles endoloris. La tête lourde.
Chacun émergeait lentement, dans le froid, dans la pénombre, tandis que notre guide Said, toujours présent, toujours rassurant, s’affairait à tout organiser. À ses côtés, Anas, celui que nous avions surnommé le Warrior. Un homme d’une gentillesse rare, d’un calme déroutant, presque silencieux… mais chaque mot comptait. Montagnard aguerri, il connaissait la montagne comme on connaît une amie exigeante : avec respect, humilité, et une grande sagesse. Durant ces deux jours, nous avons eu de vrais échanges, profonds, humains. Des conversations simples, mais essentielles, où l’on parlait de la vie autant que du sommet.
Anas ne donnait pas de leçons. Il partageait. Et c’est dans ses silences, autant que dans ses paroles, que nous avons beaucoup appris.

Nous sommes sortis. Il faisait nuit noire. Le froid mordait. Nos frontales dessinaient un ballet de lucioles, serpentant dans la nuit en s’élevant lentement. Le groupe était prêt. Nous marchions. Un pas, puis un autre.

Mais parfois, la montagne parle. Et ce matin-là, elle nous a dit : non.

Après quelques mètres, les corps ont lâché. Le souffle manquait, les alertes physiques étaient là. Pour raison de santé, il a fallu décider. S’arrêter. Renoncer.
Le sommet était si proche, quelques centaines de mètres seulement mais nous avons choisi la raison. Et dans ce choix, il y avait de la déception, mais aussi un étrange soulagement. Ce n’était pas un échec. C’était une leçon.

Nous avons terminé la nuit au refuge, le cœur lourd, mais vivants.

Entre photographie et communion

Kamel Benddif sur le mont Toubkal
En capturant lâme des montagnes Le photographe devient à son tour silhouette dans le paysage

Le lendemain, un autre moi s’est réveillé. Le photographe.

Il me restait du temps. Alors j’ai saisi mon appareil. J’ai ajusté mes sangles. Et je suis sorti d’un pas décidé. Le froid encore là, mais l’esprit plus léger. Je me suis enfoncé dans ce décor de pierre et de lumière. Plus besoin d’atteindre un sommet. J’étais là. Au milieu de la montagne. Pour l’écouter. Pour la regarder. Pour la saisir.

Les montagnes du Toukbal

Le vent souffle doucement. Les nuages passent, effleurent les crêtes et modifient la lumière à chaque instant. Le ciel est changeant, insaisissable, comme les émotions du retour. Et moi, je suis là, debout, appareil en main. Le photographe s’éveille dans le silence.

Les montagnes du Toubkal

Ce décor ne m’appelle pas à capturer, mais à écouter. Il ne se donne pas, il se laisse deviner. La brume au loin, les strates de montagnes superposées comme les couches d’une pensée qu’on n’a pas encore formulée. Je cadre, j’attends, je respire. Photographier ici, c’est ralentir, s’effacer un peu

Les montagnes du Toubkal

Un filet d’eau scintille entre les pierres. un chemin de lumière dans un monde minéral. Je suis seul, mais jamais isolé. La montagne me parle encore, non plus dans l’effort… mais dans le calme. Alors je photographie, non pas pour montrer, mais pour mémoriser l’émotion de ce moment fragile. Un instant où la nature ne crie pas sa beauté, elle la murmure. C’est cela que je veux garder avec moi. Pas
une image parfaite, mais un souvenir juste.

Les montagnes du mont Toubkal

Je suis descendu un peu plus bas, là où l’eau trace son chemin entre les roches. Tout est plus doux ici. Le tumulte est derrière moi. Seuls les murmures du courant accompagnent mes pas. Je m’agenouille, je cadre, j’observe. Cette eau limpide me parle autant que les sommets.
Elle reflète la lumière du matin, les rochers sombres, et mes pensées encore en mouvement. Ce n’est pas un décor. C’est un dialogue entre moi, le photographe et ce paysage qui m’a vu passer, tomber, me relever.

Je déclenche. Juste une fois. Le moment est là. Et c’est assez

Derniers instants, derniers gestes

Le moment du départ est arrivé.
Said, notre guide infatigable, fait le point avec les muletiers. Les mules sont prêtes à redescendre, chargées de nos sacs, de nos souvenirs, et peut-être, un peu de nous aussi. Je suis heureux, bien sûr, de redescendre. Mais déjà, une étrange mélancolie m’envahit. Je laisse derrière moi un lieu à part, un monde suspendu où le temps perd sa densité où la paix de l’âme cesse d’être une chimère.

Le groupe s’élance pour les 10 kilomètres de descente mais moi, je fais encore un pas de côté. Je me retourne une dernière fois comme pour dire merci. Merci à la montagne pour son silence, sa rudesse, son accueil. Merci pour les images qu’elle m’a offertes et que je n’ai pas seulement capturées mais ressenties. Alors je sors mon appareil, je cadre, je respire, je déclenche. Une photo. Un hommage.

Les montagnes du mont Toubkal

Gravée dans ma mémoire plus que dans ma carte SD. Un souvenir tatoué à jamais.

Les premiers kilomètres de la descente ont un goût de soulagement. Le souffle est plus ample, le corps plus léger mais la vigilance reste de mise. La rocaille, traîtresse, glisse sous les pas mais notre guide Said, à l’esprit alerte et bienveillant, faisait en sorte que le rythme ne soit pas trop soutenu afin de nous ménager.

On avance lentement, prudemment, le regard parfois fixé au sol, parfois happé par les paysages que l’on redécouvre autrement. Au bout d’un peu plus de deux heures, un petit bâtiment accroché à la paroi se dessine à l’horizon. Une gargote.

Les montagnes du Toukbal

À cette altitude, c’est presque un mirage. Les jambes sont lourdes, les visages marqués. Alors cette halte est une bénédiction. Le simple fait de s’asseoir, de reposer le sac, de boire une gorgée fraîche et de sourire à d’autres marcheurs suffit à recharger les batteries du corps comme de l’esprit .

Après une pause salvatrice, nous avons repris la descente. À petits pas, mais avec une régularité presque méditative. Le corps fatigué, certes, mais porté par l’idée de retrouver le monde d’en bas. Cinq heures plus tard, alors que les muscles criaient et que le souffle s’était fait court, la montagne s’ouvrit une dernière fois à nous. Majestueuse. Silencieuse. Présente.

Le ciel s’était entièrement dégagé, comme si elle avait voulu nous offrir un ultime spectacle, une révérence inversée. Je n’ai pas pu m’empêcher de me retourner. Un pas, puis un autre et cette pensée : « Merci. » Merci pour tout ce que j’ai vu, ressenti, traversé. Merci pour cet accueil silencieux, sans condition, pour ces instants suspendus entre fatigue et émerveillement.

Je sors mon appareil. Je cadre. Je déclenche. Un dernier hommage à cette dame de pierre, qui n’a rien demandé, mais qui a tant donné.

Les montagnes du Toukbal

Les montagnes du mont Toubkal

Retour à Armed

Après 5h30 de descente et près de 10 kilomètres de rocaille, le village d’Armed surgit enfin, niché dans les plis de la montagne comme une promesse tenue. Un soulagement immense nous envahit. Les jambes sont lourdes, le souffle court mais le cœur, lui, est léger. Le même village qu’au départ, et pourtant… nous ne sommes plus tout à fait les mêmes.
Pour l’anecdote, notre ami Anas, le Warrior, est arrivé deux heures et demie avant nous, faisant la descente avec la fluidité d’un torrent. Une force tranquille, un éclaireur silencieux.

Je m’arrête une dernière fois. Je me retourne, puis je regarde devant moi. Et je souris.

Village d'Armed - Maroc

Ce que la montagne m’a appris

Redescendre, c’est revenir vers soi.
Après chaque pas, chaque souffle arraché à l’effort, reste une empreinte plus profonde que celle laissée dans la poussière des sentiers. Ce trek n’a pas été qu’une marche vers les hauteurs, mais une ascension intérieure.
Une aventure où la fatigue, les doutes, l’émerveillement et la fierté se sont entrelacés à chaque détour du chemin. J’ai découvert une nature rude et majestueuse, exigeante mais généreuse.
J’ai compris qu’il faut parfois s’éloigner du monde pour mieux entendre le silence et sentir le battement de son propre cœur. Et si je n’ai pas atteint le sommet, j’ai gagné quelque chose de plus grand encore : le sentiment d’avoir dépassé mes limites, pas à pas, avec courage… et toujours un regard en éveil. Mais rien de tout cela n’aurait été possible sans celles et ceux qui m’ont accompagné.

Merci, à mon épouse, sans qui ce voyage n’aurait jamais vu le jour. C’est elle qui a semé l’idée, elle qui m’a encouragé, porté, et inspiré.
Ce trek, c’est aussi le reflet de ce que nous partageons : un chemin parcouru ensemble, avec patience, avec amour, avec lumière.
Sa force, sa présence et son sourire ont été mon vrai sommet.

À Said, notre guide de l’ Agence GeekTrip , pour sa bienveillance, sa patience et son calme rassurant et son professionnalisme.

À Anas, le “Warrior”, pour sa gentillesse, ses silences pleins de sagesse et nos échanges enrichissants.


Merci à vous. Et merci à cette montagne… de m’avoir donné l’occasion de me découvrir moi même

Kamel Benddif sur le mont Toubkal
Kamel Benddif lors de lacensions du mont Toubkal
signature kamel Benddif

5 réactions sur “Toubkal : l’ascension d’une montagne, la rencontre avec soi

  1. Raith dit :

    Magnifique expérience en communion avec la nature et surtout avec soi même le temps d’un instant..d’une nuit pour le reste de ta vie à jamais gravé…
    A quand l’attaque du Kilimanjaro…?!. Je suis sûre que cette sensation vécue deviendra insatiable…

  2. Flavien dit :

    Bravo!
    Ton article m’a fait voyager? A travers tes mots et tes photos, j’ai eu l’impression d’être egalement avec toi au pied du Toukbal, puis sur les sentiers, en pleine montée.
    Merci pour ce partage authentique et inspirant.
    Flavien 📸

  3. Hafida Meziani dit :

    J’ai eu l’impression d’avoir partagé avec toi, ton épouse, Said et Anas et les ânes ce paysage dur en façade mais combien chaleureux, beau et apaisant en profond, ce genre de voyage nous laisse une trace indélébile physiquement et mentalement. Un régal pour les amoureux de la nature à 360 degrés

    Merci de nous l’avoir partagé avec cette délicieuse plume, merci aux guides et merci à ton épouse qui grâce à elle je me suis téléporté d’ Imlil Au sommet ( parceque le sommet vous l’avez atteint en long et en large ) de la montagne

  4. Hazem Ali amer dit :

    Magnifique récit d’un voyage au cœur de la montagne dans un très beau pays et des gens sûrement merveilleux tu as bcp de chance d’avoir pu faire ce voyage à travers le temps finalement les photos sont magnifiques et reflètent cet état pur de la nature que souvent on ignore très inspirant mon ami et bravo

  5. Nawel dit :

    On a l’impression d’y être avec vous , quelle aventure. J’adore le mini bar incrusté dans la montagne 😊. Merci pout ce beau partage,j’imagine que les courbatures sont toujours présentes mais elle sont vite oublié quant on se plonge a l’intérieur des belles photos .

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